Archives pour la catégorie Non classé

Itinéraire à Bakou et dans le Gobustan

Le temps d’un court séjour en automne, l’auteur de ces lignes se rend à Bakou, capitale de l’Azerbaidjan, cet Etat assez méconnu des touristes occidentaux, blotti entre Caspienne et Caucase. Célèbre depuis le XIXe siècle pour ses richesses pétrolières et gazières, la ville a été rénovée de fond en comble ces dernières années et offre un visage avenant. Le centre historique, quoique relativement petit a été totalement restauré et est plaisant. Au Sud de la ville, après avoir parcouru une soixantaine de kilomètres, les volcans de boue et les peintures rupestres du Gobustan offrent des paysages étonnants et dénudés face à la mer Caspienne.

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Itinéraire à Kiev

Vaste ville qui s’étend principalement sur les hautes collines de la rive occidentale de l’immense Dniepr, la capitale de l’Ukraine peut s’enorgueillir d’un riche passé, dont témoignent toujours les coupoles étincelantes de ses prestigieuses églises orthodoxes. L’auteur de ces lignes s’y rend pour un court séjour vers la fin de l’hiver, en mettant l’accent sur le souvenir de la Russie kiévienne. Les endroits à voir en priorité s’imposent ainsi d’eux-mêmes: Sainte-Sophie, Saint-Michel-aux-coupoles d’Or, la Laure des grottes et la porte d’Or.

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Itinéraire à Riga et Jurmala

A la charnière de l’été et de l’hiver, l’auteur de ces lignes se rend pour un court séjour à Jurmala (Jūrmala en letton), station balnéaire historique de Riga, belle capitale de la Lettonie. Evidemment, il n’est guère question de se baigner dans les eaux gris bleu de la Baltique. Il s’agit plutôt de découvrir un lieu assez méconnu des Occidentaux, mais toujours connu en Russie, puisqu’il s’agissait, toutes proportions gardées, d’une sorte de Deauville à l’époque impériale et d’un lieu de villégiature toujours à la mode à l’époque soviétique. Au-delà de cet aspect spécifique à Jurmala, Riga est une ville au riche passé hanséatique, qui conserve un patrimoine médiéval de valeur.

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Itinéraire à Tbilissi et dans le Haut-Caucase

Durant quelques jours, lors d’un mois de mai, l’auteur de ces lignes se rend en Géorgie, ce pays de cocagne au Sud du Caucase, riche de ses paysages, de son histoire, de sa gastronomie et de ses traditions viticoles ancestrales. Si l’essentiel du temps sera consacré à la visite de Tbilissi et notamment de sa vieille ville, une excursion dans l’ancienne capitale géorgienne de Mtskheta, puis dans le Haut Caucase jusqu’au pied du mont Kazbek par la mythique route militaire géorgienne, compléteront le séjour par des paysages plus intemporels.

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Itinéraire à Astrakhan

Un jour d’été, l’auteur de ces lignes se rend à Astrakhan (Астрахань), à plus de 1400 km de Moscou, non loin de la Caspienne pour un court séjour. Il s’agit de la plus méridionale des villes de la Volga, située aux portes du delta, réputé peuplé de nombreux oiseaux. Ce nom résonne d’une façon particulière et évoque plus l’Orient et les caravanes que la Russie. Je m’attendais à une ville plutôt orientale ou, en tout cas, à un mélange de styles comme à Kazan, mais j’aurai finalement vu une cité russe, somme toute coquette, et donnant par certains côtés l’étonnante impression fugace de se trouver dans une ville coloniale sur les bords du Mississipi. En revanche, un peu plus au Nord-est, les paysages écrasés par le soleil et désolés de la steppe ouvrent bel et bien sur un autre monde et d’autres représentations mentales, correspondant en particulier à Saraï Batou, la capitale très partiellement reconstituée de la Horde d’Or.

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Itinéraire à Tachkent et Boukhara

Après un passage à Tachkent pour des raisons professionnelles, l’auteur de ces lignes prolonge son séjour durant le week-end pour se rendre à Boukhara, Il y faisait déjà chaud en ce début de mois de juin. Très bien entretenu et propre, le centre de cette ville ouzbèke, moins célèbre que Samarcande, mais tout aussi intéressante, est un véritable musée en plein air et regorge de trésors architecturaux, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle fut – et reste d’ailleurs – un centre religieux de première importance.

Pour ce premier séjour en Asie centrale, l’attente était assez forte et les représentations, comme souvent, plus ou moins conformes à la réalité. Si à mon arrivée à Tachkent, je suis surpris par le sous-dimensionnement manifeste de l’aéroport et amusé par un relatif désordre, assez rapidement, je serai positivement impressionné par la propreté des rues, la relative modernité des infrastructures et l’absence manifeste de signes extérieurs de radicalisme. La livraison des bagages aurait mérité d’être filmée, tant le carrousel de livraison était mal conçu : l’introduction des bagages orthogonalement au tapis roulant et au même niveau entraînait rapidement et systématiquement une congestion et la disparition périodique de sacs et valises de part et d’autre du rail, nécessitant pratiquement l’intervention permanente d’un employé. Cela dit, j’ai appris par la suite qu’un nouveau terminal avait été ouvert récemment, améliorant tant la capacité que la fluidité du trafic sur la plate-forme de Tachkent.

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La place Tamerlan et l’hôtel Ouzbékistan en fond de tableau àTachkent

Logé à l’hôtel Ouzbékistan, sorti tout droit de l’Union soviétique, mais correct et surtout très bien situé, j’y changeai quelques euros en une quantité astronomique de « sums », que j’essayai de classer tant bien que mal. Puis je me changeai et entamai une séquence professionnelle. Lorsqu’elle s’acheva, un jeudi soir, je me rendis dans un restaurant repéré derrière l’hôtel et d’excellente facture, l’Assorti. Le lendemain, ayant un peu plus d’une demi-journée de libre à Tachkent, avant de prendre le train en soirée pour Boukhara, je décidai d’aller voir la statue de Tamerlan qui trône sur l’immense place circulaire faisant face à l’hôtel et le musée qui lui est consacré. Il faisait évidemment beau et les lunettes de soleil étaient de rigueur, compte-tenu de la luminosité, ce qui est d’ailleurs encore plus vrai à Boukhara. Tamerlan est, depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan après la chute de l’Union soviétique, le héros national de cet Etat, majoritairement ouzbek, mais comptant diverses minorités (Turkmènes, Kazakhs, Tadjiks, etc.). Dans un clair souci identitaire et utilitaire, le pouvoir, longtemps détenu par un chef d’ Etat à poigne, Islam Karimov, résolument laïc et respecté, a favorisé une sorte de culte de ce personnage historique de très grande envergure, dont les exploits militaires ont été cependant diversement appréciés dans d’autres pays, compte-tenu de sa brutalité extrême.

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Musée Amir Timur (Tamerlan) à Tachkent

Le musée d’ « Amir Temur », c’est-à-dire de Tamerlan, est un vaste bâtiment circulaire, construit dans les années 90. Très intéressant, monumental, joli et plutôt didactique, il est, pour être franc, un peu décevant sur le plan des collections exposées. Je ne fus pas surpris de voir des groupes scolaires le visiter, un peu plus de constater que pour l’un d’eux, la guide s’exprimait en russe. De fait, avant mon séjour, il m’avait été indiqué que les Ouzbeks seraient pour le moins réservés à l’endroit des Russes et que le russe était censé être en perdition. Je n’ai pas eu du tout cette impression, lors de mes interactions avec des ressortissants ouzbèkes, au contraire.

Regard sur Tamerlan

Timour le Boîteux (Timur Lang en persan), né vers 1336 dans le village de Kesh au Sud de Samarcande, est le fils du chef d’une influente tribu turcophone locale. Après moult péripéties, il rejette avec l’aide de son beau-frère, l’Emir (Prince) Hossein, la tutelle des Mongols djaghataïdes sur la Transoxiane (la région située entre Amou Darya et Syr Darya) en 1365, avant de se retourner contre son allié et parent qu’il abat par surprise en sa forteresse de Balkh. En 1370, il est ainsi maître d’une zone correspondant, pour simplifier, à l’Est de l’Ouzbékistan et au Nord de l’Afghanistan actuels. Samarcande devient sa capitale qu’il embellit. Selon René Grousset, « il est turco-persan de culture, turco-gengiskhanide de formation juridique, mongolo-arabe de discipline politico-religieuse ». De fait, il tient à s’appuyer sur l’Islam d’un côté, la légitimité que procure dans le monde des steppes, la filiation d’avec Gengis-Khan de l’autre, afin d’asseoir son pouvoir. C’est ainsi qu’il choisit de rester un simple « Emir », un Prince, en maintenant un Khan fantoche descendant du conquérant mongol à la tête de son fief de Transoxiane.  Il déclenche ensuite une multitude de campagnes contre tous ses voisins, toutes victorieuses et sanglantes. Sa férocité est extrême et les pyramides de têtes jalonnent son parcours, comme jadis celui des Mongols. Faisant face à un chef turcophone turbulent dans le Khwarezm au Nord-ouest (la région correspondant au cours inférieur de l’Amou Darya, vers la Mer d’Aral), il finit par s’emparer de sa capitale Ourgendj et annexer la région en 1379. Vers le Nord-est, il lance, entre 1375 et 1400, de multiples expéditions destinées à conjurer la menace des nomades. Ses troupes s’enfoncèrent toujours plus loin, à la poursuite d’un ennemi insaisissable, atteignant Kashgar (actuel Xinjiang chinois) et le lac Balkhach (dans le Kazakhstan actuel). A partir de 1381, il entame la conquête de la Perse, prenant Herat (dans l’actuel Afghanistan), dévastant le Sistan (Sud-Est de l’Iran) dont les populations sont passées au fil de l’épée et les canaux d’irrigation détruits, s’emparant de l’Azerbaidjan, de Tiflis (Tbilissi) en Géorgie, de l’Est de la Turquie actuelle aux mains de Turcomans, massacrant ensuite la population d’Ispahan (70000 têtes auraient été empilées en d’horribles pyramides), prenant Chiraz, d’où il expédie les meilleurs artisans vers Samarcande. On est alors en 1387 et l’invasion par surprise de la Transoxiane l’oblige à rentrer à Samarcande. Son protégé Toqtamish, un des des descendants de Gengis-Khan, parvenu grâce à son appui, à devenir Khan de la horde Blanche a réussi à prendre aussi le contrôle de la horde d’Or, devenant ainsi le maître d’un territoire considérable centré sur la basse-Volga. La puissance de Toqtamish est telle qu’il a restauré le « joug tataro-mongol » temporairement sur les principautés russes: en 1382, il a brûlé ainsi Moscou et Vladimir. Comme l’indique René Grousset, « la tête lui tourna »: « qu’était Tamerlan, parvenu turc sans passé et sans titre juridique bien défini, devant lui qui représentait la légitimité gengiskhanide la plus authentique? ». Il attaqua par surprise la Transoxiane, profitant de l’absence de Tamerlan, occupé en Perse et parvint devant les murs de Boukhara. Les troupes timourides revinrent précipitamment et trouvèrent leur pays ravagé, l’ennemi s’étant retiré hors de portée dans les steppes du Nord. La guerre contre Toqtamich se termina par le saccage de sa capitale sur la Volga, Saraï en 1396. En 1398, sous un prétexte religieux, Tamerlan s’en prend au sultanat de Delhi qu’il ravage et pille. Les sujet hindous sont systématiquement massacrés, parfois écorchés vifs, si l’on en croit René Grousset. En 1400, il s’en prend à l’Empire mamelouk, du nom de ces guerriers esclaves turcs et Tcherkesses qui avaient fini par s’arroger les pleins pouvoirs en Egypte. Alep et Damas sont mises à sac avec les habituels cortèges de massacres. En 1402, alors que l’empire ottoman est en pleine ascension, le sultan Beyazid (Bajazet) est battu dans une grande bataille à Ankara et capturé. Comme le note René Grousset, Tamerlan en s’en prenant aux Ottomans et à la horde d’Or, avait rendu service à l’Empire byzantin moribond et à la Moscovie qui venait de secouer le joug tataro-mongol. Timour le Boiteux mourut en 1405 à 71 ans, au moment où il avait entamé les préparatifs pour une invasion de la Chine. Ses successeurs furent remplacés en Transoxiane par une nouvelle dynastie, descendant de Gengis-Khan, les Cheybanides régnant sur des hordes nomadisant dans l’actuel Kazakhstan et qui se faisaient appeler « Uzbek », au tout début du XVIe siècle.

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Marché à Tachkent

Après cette visite, je pris un taxi pour le marché de Chorsu. J’y déambulai pendant environ une heure entre quelques étals de beaux fruits et légumes et surtout parmi les nombreux stands et échoppes de tissus, vêtements et chaussures. Les tissus traditionnels ouzbeks sont très colorés et évidemment difficiles à porter ailleurs que sur place. J’achetai simplement quelques succulents abricots.

Reprenant un taxi, je cherchai à gagner une galerie d’art dont le nom m’avait été conseillé. En effet, dans mon appartement à Moscou, il y avait quelques tableaux provenant d’Ouzbékistan et j’avais résolu d’en trouver sur place. L’adresse obtenue était excellente, à proximité de l’académie de peinture de Tachkent, mais les prix un peu trop élevés à mon goût, même si la qualité des tableaux était remarquable. De toute manière, ils étaient trop grands. Une autre galerie, un peu plus loin, pratiquait des prix excessifs pour des œuvres de moins bonne facture. Une pause déjeuner tardive permit de prendre un « ploff », c’est-à-dire un rif pilaf et une excellente salade « Atchichuk » aux tomates, oignons et basilic. Comme je n’apprécie pas du tout le mouton, le choix fut difficile.

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Après un détour par une librairie, c’est un peu par hasard que je tombai, non loin du centre commercial Zarafshan, sur une petite rue piétonne ombragée, où de nombreux artistes ou vendeurs de rue avaient installé une très grande quantité de tableaux, de qualité diverse mais généralement peu onéreux. J’y fis une acquisition. Une belle mosquée de Samarcande dans un style vaguement impressionniste. A cet endroit-là, il y avait une brise légère, tout était calme et vert, on entendait non loin le bruit d’une fontaine. C’était un moment de quiétude qu’il convenait d’apprécier. Le temps avait suspendu son vol.

Je hélai un taxi pour le marché d’Alay. Pas forcément bon marché, mais très bien achalandé et central, il est propre et relativement vaste. J’y achetai du thé au safran et de belles amandes effilées. Le temps pressant, je revins à l’hôtel, toujours en taxi, y récupérai mes bagages et gagnai la gare centrale. La sécurité, dans ce pays relativement épargné jusqu’à présent par le terrorisme, est draconienne. On ne peut accéder au bâtiment qu’après avoir passé un portique, présenté son billet et son passeport. L’attente ne dura pas et je m’installai dans le train à grande vitesse qui permet de relier Samarcande et Boukhara. Dans le train, je dormis un peu, regardai défiler les paysages, de plus en plus désertiques et désolés à mesure que l’on descendait vers le Sud et pris une collation dans le wagon restaurant.

L’arrivée à Boukhara se fit à une gare fort éloignée de la ville et de nuit. Je négociai un tarif correct avec un taxi et pris la direction du centre. Le conducteur, assez âgé, regrettait manifestement l’époque soviétique, estimant que la vie y était plus facile et l’horizon plus vaste. A l’arrivée dans les quartiers historiques de Boukhara, je quittai la rue centrale pour m’engager sur un chemin inégal de terre battue, au milieu de bâtiments et de murs en adobe, percés de rares ouvertures et noyés dans l’obscurité. Pendant un court instant, je fus décontenancé, mais finalement j’arrivai devant une ancienne madrassa, reconvertie en petit hôtel. Les chambres disposées autour de deux petites cours pavées étaient minuscules mais bien  aménagées.

Regard sur Boukhara

La ville compte environ 270000 habitants et son centre-ville est particulièrement bien préservé, puisque dès l’époque soviétique des travaux de restauration furent menés. Elle est située dans une oasis, en bordure du désert du Kyzyl Kum et sur les bords de la rivière Zarafshan. Son histoire se confond bien sûr avec celle de la Transoxiane et débute probablement dès 3000 avant JC, selon des travaux archéologiques russes. La culture, dite sogdienne est relativement spécifique dès 700 avant JC. Elle a pour véhicule une langue appartenant au groupe linguistique iranien oriental, aujourd’hui pratiquement disparue, bien que parlée encore par une dizaine de milliers d’individus, appartenant à la minorité yaghnobi au Tadjikistan. Les Sogdiens furent incorporés à l’empire perse par Cyrus le Grand vers 500 avant JC. La ville antique se serait initialement développée dans le secteur de la citadelle (« Ark » en perse) et aurait été un centre commercial et cultuel significatif. Elle fit partie de nouveaux ensembles politiques après la destruction de l’empire achéménide par Alexandre le Grand : le royaume hellénistique des Séleucides, puis le royaume grec de Bactriane, puis l’empire Kouchan. Sa prospérité ne fait alors que croître, du fait de l’importance prise par la route de la soie. Exposée à la menace permanente d’incursions ou d’invasions nomades, elle semble s’être dotée de murs de 400 km de long pour défendre les terres arables de l’oasis au Ve siècle de notre ère. Conquise par les Arabes vers 650, elle se montre rétive autant à leur domination qu’à l’islamisation et reste acquise au culte de Zoraoastre et gouvernée de facto par des nobles locaux, les Bukhar Kudah, jusqu’à la restauration perse samanide à la fin du IXe siècle. Pendant près d’un siècle, Bukhara est la capitale de l’empire samanide et devient un centre prestigieux de l’Islam sunnite rivalisant avec Baghdad. L’irruption des Turcs karakhanides en 999 y met un terme. C’est le début d’une lent mouvement de bascule démographique, ethnique et culturel du monde persan jusqu’alors largement dominant vers le monde turc. Les Karakhanides sont à leur tour chassés par les Shahs du Khwarezm voisin en 1207. Mais le massacre d’envoyés mongols par ces derniers déclenche un cataclysme : une immense armée commandée par Gengis-Khan s’ébranle vers l’Ouest; Boukhara est assiégée pendant deux semaines et rasée en 1220, tandis que des milliers de Turcophones sont exécutés. Contrôlée par le khanat djaghataïde, la ville est encore largement en ruines un siècle après sa dévastation. Elle passe sous le contrôle de Tamerlan, puis des Timourides au XVe siècle et se relève à cette époque. Au XVIe siècle, c’est l’ère de nouveaux venus qui débute, celle des Ouzbeks chaybanides. La ville est leur capitale de 1500 à 1598. Une autre dynastie, descendante de Gengis-Khan, leur succède en 1599, celle des astrakhanides, originaires du khanat d’Astrakhan tombé dans les mains d’Ivan le terrible. Elle régnera jusqu’en 1747. Après un court intermède, vient le temps des Emirs de Boukhara. Brutaux et arrogants, ils sont pris dans le « Grand jeu » entre l’empire britannique et l’empire russe. En 1838, un envoyé britannique, le colonel Stoddart arrive à Boukhara pour convaincre l’Emir Nasrullah Khan de signer un traité d’amitié avec la Grande-Bretagne et accessoirement de libérer des esclaves russes. Il est emprisonné et exécuté en 1842, avec un autre officier anglais, dépêché pour obtenir sa libération. La poussée russe dans le Turkestan, illustrée avec relief par le peintre Verechtchagine à partir de 1839, aboutit à la prise de Tachkent en 1865 par le très indépendant général Chernayev, puis de Samarcande en 1868. Tandis que ces deux villes sont annexées, le reste de l’Emirat de Boukhara devient un protectorat russe. En 1920, l’armée rouge entre à Boukhara, dépose le dernier Emir et une république populaire socialiste de Boukhara est proclamée. Avec la redéfinition des frontières administratives, partiellement selon des lignes de partage ethnique, une république socialiste soviétique ouzbèke est créée en 1924. Le reste de l’histoire est connu.

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L’hôtel Khurjin derrière la plus grande madrasa de Bukhara, la madrasa Kudalkosh. Il s’agit d’ailleurs aussi d’une ancienne école,

Le lendemain matin, le petit-déjeuner fut gargantuesque. Il était impossible de tout manger. L’hôtel était tenu par de jeunes Ouzbeks, polyglottes et prévenants. Prenant en direction du centre-ville, alourdi par une collation matinale bien plus roborative que d’habitude, sous un soleil déjà écrasant, je remontai la petite rue sinueuse empruntée en véhicule la veille, longeai les hauts murs de la grande madrassa Kudalkosh qui date de 1568 et atteignis la rue Bakhovaddin Nakshband. Sur la gauche, des échoppes nombreuses étaient installées dans de hautes salles voûtées. On pouvait y acheter notamment des broderies. Ce que je fis d’ailleurs. Je traversai  ensuite la rue pour rejoindre la très jolie place, appelée Lyab-i Khauz (en persan, « près de l’étang »).

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Lyab i-khauz avec au fond le khanaka (Bukhara)

Il y avait encore peu de monde et je m’installai pour prendre un café sous les arbres qui bordent le bassin, à une table dépendant du restaurant Labi Hovuz. L’endroit était bien ombragé, reposant, joli et très dépaysant. Il y avait beaucoup de bassins de ce type à Boukhara, mais ils furent comblés à l’époque soviétique en raison de leur insalubrité. Celui-ci a été conservé, car il est entouré de bâtiments historiques: une auberge pour soufis de 1620 (khanaka), bordant l’étang à l’Ouest et la madrasa Nadir Divan-begi de 1622 en face, de l’autre côté de la place. Il se dit que cette dernière était en principe conçue pour être un caranvasérail, mais qu’au moment de son inauguration l’Emir aurait prononcé le mot de madrasa et personne n’aurait ôsé le contredire.

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Synagogue de Boukhara

Après avoir étudié la carte de la ville, je pris une rue proche qui me fit passer devant une synagogue, construite voici quatre siècles. J’y jetai un bref coup d’œil et fus immédiatement incité à y pénétrer. Le fort sympathique président de la communauté de Boukhara, Abram Iskhakov, me fit alors visiter les lieux. Propriétaire de plusieurs journaux locaux, louant l’ouverture de feu le président Karimov, par opposition à l’attitude plus hostile des autorités locales à l’époque soviétique, il évoqua le déclin rapide de la communauté israëlite de Boukhara, forte jadis de milliers d’âmes et désormais réduite à quelques dizaines de personnes seulement. Toute sa famille était établie à l’étranger, mais lui-même avait obstinément décidé de rester sur place, résistant à toutes les objurgations, car il s’estimait dépositaire de l’histoire d’une communauté pratiquement éteinte. Selon lui, en Israël, il ne serait en effet qu’un « Juif parmi d’autres », tandis qu’en Ouzbékistan, il était « le représentant des Juifs de Boukhara ». Il se mit en demeure de faire visiter les lieux, parlant de façon volubile et passionnée en russe et montrant des photos de personnalités, telles que Madeleine Albright.

Regard sur les Juifs de Boukhara

La présence d’une importante communauté judaïque en Asie centrale remonterait à l’époque de la Perse achéménide, voici près de 2500 ans, après la prise de Babylone par Cyrus au VIe siècle avant JC. Certains veulent voir en elle, l’une des « tribus perdues d’Israel », exilées au VIIIe siècle avant JC. Collectivement appelés « Juifs de Boukhara », mais présents dans d’autres villes, comme à Samarcande, ils jouèrent un rôle important dans le commerce sur la route de la soie. Ils parlaient une variante du farsi, proche du tadjik avec quelques termes empruntés à l’hébreu, appelé « bukhari ». Leur situation devint précaire au XVIIIe siècle, du fait de persécutions croissantes, faites de vexations diverses et de la dime imposée aux non-musulmans, ainsi que de conversions forcées. Du fait des diffficultés et de l’isolement, la communauté des Juifs de Boukhara évolua d’une façon propre. A la fin du XVIIIe siècle, un rabbin venu du Maroc, Joseph Maman Maaravi revitalisa leurs traditions et fit revenir les rites à une plus grande orthodoxie. Leur condition sociale s’améliora nettement avec l’arrivée des Russes, mais des discriminations persistèrent. L’athéisme plus ou moins militant des Bolcheviques et la méfiance quant aux liens avec des coreligionnaires émigrés fut source de difficultés à partir des années 20. Lorsque l’Union soviétique se mit à autoriser ses citoyens israélites à partir, vers 1972, une vague de départ s’ensuivit. Puis avec la dislocation de l’URSS, et l’avènement de nouveaux Etats indépendants, la crainte du nationalisme et du radicalisme accéléra le processus. L’ironie est que l’Ouzbékistan d’Islam Karimov n’a toléré aucune manifestation d’hostilité à l’égard de sa minorité juive, mais la peur du lendemain et sans doute aussi l’attrait d’une vie meilleure furent plus fortes. Le nouveau président semble même vouloir le retour de certains d’entre eux. Selon certaines estimations, il y aurait désormais une centaine de milliers de Juifs d’Asie centrale en Israël et entre 50 et 70000 aux Etats-Unis, principalement à New York.

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Toqi Sarrafon (Bukhara)

Reprenant le chemin vers l’Ouest en direction du petit bazar couvert de Toqi Sarrafon, je passai sous la porte surmontée d’un dome de la fin du XVIe siècle et m’attardai dans une boutique d’enluminures et de gravures, fort jolies mais chères. Jadis ces lieux avaient été occupés par des boutiques de change, ce qui sur la route de la soie avait son importance. Obliquant à droite au bout d’une centaine de mètres, je dépassai des caravansérails massifs, vestiges d’une prestigieuse époque marchande révolue.

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Depuis le Toqi Telpak Furushon, vers le Nord (Bukhara)

Après avoir ensuite déambulé parmi des marchands de tapis – kilims, tapis de soie, etc. – dans un autre bazar couvert, celui du Toqi Telpak Furushon (XVIe) réservé jadis à des libraires, je pris vers le Nord, une rue marchande baignée de soleil, où je décidai d’entrer dans un petit magasin de céramiques. L’artisanat ouzbèke est réputé à juste titre. Engageant la conversation avec le propriétaire, je remarquai un bol de très belle facture, beaucoup plus finement décoré que les autres. Il s’agissait d’une production d’un maître réputé, Dadakhon, appartenant à l’école de Richtan, du nom d’une ville (à majorité tadjike) de la vallée de la Ferghana, dont le magasin écoulait avec fierté certaines produits. J’en pris un, à un bon prix, après une longue discussion sur l’époque soviétique, engagée après avoir découvert qu’il gardait une liasse de roubles de l’ancien monde. Il fut une époque, expliqua t-il, durant laquelle avec un billet rouge de 10 roubles (« Tchervoniets »), on pouvait prendre l’avion pour Saint-Pétersbourg, chose qui lui était désormais difficile. Sa fille tint à montrer l’entrepôt familial.

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La madrasa Ulugbek de Bukhara date de 1417

Descendant ensuite la rue Khakikat, je gagnai un bel ensemble de deux madrasas se faisant face. Au Nord, l’une plus simple, à dominante blanche et évidemment bleue, date de 1417. Elle a été bâtie sur ordre d’Ulugbek, un petit-fils de Tamerlan, dont on dit que la nouvelle de sa naissance le transporta de joie, au point d’exempter de massacres et de tribut la ville de Mardin qu’il venait de prendre (au Sud-est de la Turquie actuelle). Ce sultan particulièrement éclairé fut un protecteur des arts et des sciences, passionné d’astronomie. Il est notamment célèbre pour avoir fait construire un extraordinaire observatoire à Samarcande, détruit malheureusement à sa mort par des fanatiques religieux. L’autre madrasa est nettement postérieure, puisqu’elle a été construite entre 1651 et 1652 par Abdellaziz Khan. Le portail avec ses niches en nid d’abeille est très réussi. Là, à proximité, un petit café permit de faire une pause, afin de se désaltérer et de se restaurer, en l’occurrence simplement avec un plateau de fruits.

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Mosquée Kalon et minaret attenant (Bukhara)

Je rejoignis alors, un peu plus à l’Ouest, ce qui est sans doute l’un des plus beaux endroits de Boukhara: la paire architecturale constituée par la madrasa Mir-i-Arab et la mosquée Kalon. De part et d’autre d’une petite place, on trouve à gauche une prestigieuse école coranique, dont la construction a été achevée en 1536. Elle avait été autorisée à dispenser un enseignement religieux pour les imams à l’époque soviétique et continue aujourd’hui. Le père de Ramzan Kadyrov est mentionné comme l’un de ses anciens étudiants. En face, le minaret Kalon, massif et typique de l’Asie centrale, s’élève à 48 mètres de hauteur. Construit dès 1127, sous la dynastie karakhanide il pouvait servir non seulement de minaret classique pour les appels du muezzin, mais aussi de tour de guet, voire de fanal, et même à une certaine période comme on l’a appelée parfois de « tour de la mort » pour les exécutions publiques de condamnés précipités dans le vide. Lors de l’invasion mongole, ce serait le seul édifice à ne pas avpoir été mis bas, et ce sur ordre de Gengis-Khan. A droite, la mosquée Kalon date dans son aspect actuel de 1514 et comporte une vaste cour, encadrée par une longue colonnade à coupoles et quatre porches rectangulaires, dits « iwan ». Le tout est surmonté d’un magnifique dôme turquoise. Il s’agit de la plus grande mosquée de Boukhara et de l’une des plus grandes d’Asie centrale. Une première mosquée, aujourd’hui totalement disparue, avait été construite à cet endroit dès la fin du VIIIe siècle. Déambulant sous les arcades, je pris quelques photos, puis repris mon chemin en direction de la forteresse d’Ark, dont l’origine remonte au VIIe siècle. Les remparts du XVIe siècle en sont impressionnants. Très hauts et massifs, renflés à la base, afin de gêner tout assaillant, aussi bien pour des travaux de sape que pour des posers d’échelle, ils abritèrent la résidence des Emirs pendant près de trois siècles, jusqu’à la destitution du dernier d’entre eux par les Bolcheviques en 1920.

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Remparts cheybanides d’Ark, la vieille citadelle de Boukhara

Je stoppai cependant là, car il se faisait déjà tard. Je comptais revenir le lendemain et poursuivre la visite de Boukhara en commençant par Ark. Le sort allait en décider autrement… Un taxi me ramena près du Lyab i-Khauz, où un serveur moustachu, sympathique et volubile, prit la commande sous un arbre centenaire et ramena un ayran en supplément. Une place fut réservée pour le dîner.

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Après m’être changé, je sortis donc plus tard pour gagner ce restaurant et fit bombance. Trop sans doute. La nuit fut agitée. Malheureusement l’un des mets pris durant la journée précédente avait dû poser un problème de fraîcheur. Le matin, plutôt mal en point, je me dirigeai vers la pharmacie, y achetai du smekta et m’échouai sur un banc. Je ne fis rien ce jour-là. Reprenant le train dans l’après-midi, j’arrivai le soir à la gare de Tachkent. Comme je semblais sans doute hésitant sur la suite des événements, deux agents de la police touristique se proposèrent de m’aider et en dépit de mes réticences, me firent traverser l’avenue, tirant mon bagage et hélant pour moi un taxi! Je n’ai jamais rencontré une telle serviabilité chez des policiers. Ceci termina pour ainsi dire mon séjour en Ouzbékistan. Le soir, je repris un taxi pour l’aéroport. N’ayant plus d’argent ouzbèke sur moi, je donnai 500 roubles (environ 7 euros) au conducteur, qui en fut ravi, car la course était probablement deux à trois fois moins chère.

Quelques informations pratiques

Pour en savoir plus sur l’histoire de l’Asie centrale, y compris Tamerlan: l’Empire des Steppes de René Grousset, un très grand classique, qui plus est bien écrit.

Pour se loger à Tachkent: l’hôtel Ouzbékistan, où l’on peut par ailleurs aussi bien trouver de l’argent dans un comptoir de change que dans un distributeur de billets fonctionnant avec des cartes internationales (en grosses coupures, une rareté…). Mais il existe bien d’autres possibilités et la vie n’est pas chère. Le rapport qualité-prix est donc bon.

Pour se loger à Boukhara:  l’hôtel Khurjin dans une ancienne petite madrasa, avec un petit-déjeuner pantagruelique pour 38 euros par nuit. 

Pour se déplacer à Tachkent, on peut prendre le métro ou le taxi (très bon marché). Entre Tachkent et Samarcande, puis Boukhara, prendre le confortable train rapide. Il faut réserver cependant longtemps à l’avance et ce n’est pas très simple.

L’Ouzbékistan fait partie de ces pays pour lesquels, il faut prévoir une place dans sa valise pour des achats: le choix de thés, fruits secs, épices, broderies, soieries, tapis, gravures, enluminures, tableaux et céramiques notamment est important.

Penser à une pharmacie, y compris à des médicaments de type smekta, imodium, etc… Et il fait chaud dès le mois de mai. L’été est sans doute à éviter.

Itinéraire à Souzdal

Souzdal (Суздаль) est une charmante bourgade de 11000 habitants, à l’habitat très dispersé, champêtre et endormie, située à une vingtaine de kilomètres au Nord de Vladimir. Elle est avec Serguiev Possad une destination phare de l’Anneau d’Or, au Nord-est de Moscou. Elle est d’ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. On s’y promène dans un décor pittoresque, comme surgi du passé, dans une sorte de rêve médiéval, fait de blanc et de couleurs pastel. L’auteur de ces lignes s’y est rendu un jour frais et humide de mai.

 

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Souzdal, rue Vassilievskaya qui mène à la gare routière

Après être passé à Vladimir (voir itinéraire à Vladimir), j’arrivai par un petit bus à la gare routière de Souzdal. Je commençai à avoir hâte de trouver une auberge avenante, après une matinée passée à marcher, en partie sous la pluie, et un réveil fort matinal. Las, je compris vite que la gare routière de Souzdal était fort loin du centre-ville et qu’elle était en réalité comme plantée au milieu de nulle part. Le centre-ville était d’ailleurs un bien grand mot pour cette bourgade extrêmement étendue, au milieu des champs. Après un rapide tour d’horizon, je pris une rue bordée de charmantes maisons traditionnelles en bois qui rivalisaient de coquetterie par leurs couleurs vives ou pastel et leurs encadrements de fenêtre ouvragés. Cheminant sur la rue Vassilievskaya, je visitai rapidement le monastère du milieu du XVIIe siècle qui lui a donné son nom. Sur la gauche, une auberge finit par se découvrir. Elle semblait fort accueillante. Malheureusement, elle était déjà bondée de touristes chinois. Il fallut donc poursuivre encore une quinzaine de minutes. Enfin, j’arrivai à ce que l’on pouvait sans doute qualifier d’artère principale, en débouchant sur la jolie place du Commerce, bordée par des galeries marchandes du début du XIXe siècle et flanquée de deux églises. Les possibilités de se restaurer y étaient assez nombreuses et je finis par jeter mon dévolu sur un petit restaurant traditionnel, chaleureux et au service avenant. Le repas y fut d’un excellent rapport qualité prix; borch, bœuf stroganoff et medovik, en somme les grands classiques de la cuisine russe.

Après cette étape gastronomique, la séquence culture et visite reprit donc. Je gagnai une ruelle qui descendait vers un vallon, bordée de bâtiments anciens. Il y avait beaucoup de monde, l’endroit étant particulièrement prisé des touristes et des opérateurs de tourisme. Poursuivant directement vers un ensemble fortifié, je finis par atteindre le Kremlin de Souzdal, ceint de murs blancs crénelés.

Regard sur l’histoire de Souzdal

Fondée dès 999, Souzdal fut une ville importante jusqu’en 1157, date du transfert de la capitale de la principauté qui portait jusqu’alors son nom, dans la ville voisine de Vladimir. Elle bénéficiait entre autres de l’extrême fertilité de ses « terres noires ». On a peine à imaginer aujourd’hui qu’elle ait pu être à cette époque un centre  important de pouvoir dans la « Rus » du Nord-est. Dévastée comme tant de villes russes par les Mongols en 1238, elle chercha à s’opposer en vain à la montée en puissance de Moscou au XIVe siècle, avant de se soumettre à elle en 1392. De nombreux édifices furent construits à l’époque d’Ivan le Terrible. Ignorée lors de la construction de la voie ferrée Moscou-Nijny Novgorod, elle déclina rapidement. Ce déclin fut en soi une chance, puisque Souzdal conserva son authenticité, en échappant à la modernité. Elle compte encore près d’une quarantaine d’églises et de chapelles et ses maisons ont conservé l’aspect de riches isbas.

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Cathédrale de la Nativité de la Vierge (Kremlin de Souzdal)

Contournant les murs qui existaient déjà au Xe siècle sous une forme plus frustre en terre, je pénétrai sous un porche. Un joli clocher du XVIIe et de long bâtiments épiscopaux étaient visibles autour d’une petite cour. Sans m’attarder, je passai sous un autre porche, afin de pouvoir visiter la principale attraction touristique: la cathédrale de la Nativité de la Vierge (Рождественский собор) construite entre 1222 et 1225 par Vsevolod III, réaménagée pour sa partie supérieure (y compris les cinq bulbes de couleur azur et or) entre 1528 et 1530 et finalement reconstruite après un incendie en 1719. Comme bien souvent, l’intérieur est magnifique et tranche avec la relative sobriété des murs blancs à l’extérieur. Si la majorité des fresques datent du XVIIe siècle, tout comme l’iconostase, certaines remontent au XIIIe siècle. Les « portes dorées » sont magnifiques. Elles ont été réalisées en 1230, selon la méthode de la dorure au feu sur cuivre. La finesse des détails des illustrations de scènes bibliques est confondante.

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Vue depuis le Kremlin de Souzdal

Compte-tenu de la nécessité de regagner la gare routière, puis de là Vladimir et enfin Moscou, il ne pouvait être question de visiter les autres centres d’intérêt, comme le musée de l’architecture en bois, juste de l’autre côté d’un étang ou le monastère du Sauveur Saint-Euthyme. Je sortis donc, m’attardai face au paysage à côté de l’église en bois de 1776, démontée dans un village voisin et remontée à des fins de préservation, puis fis le chemin inverse à grands pas. Au passage, je passai rapidement en sortant du Kremlin dans la petite église de la Dormition (XVIe siècle) puis dans celle de Saint-Jean Baptiste (1720).

Arrivé à la gare routière, je pris garde à ne pas rater le minibus qui allait manifestement être pris d’assaut, puis gagnai la gare ferroviaire de Vladimir, où je m’affalai dans un train rapide confortable pour Moscou (cf itinéraire à Vladimir).

Quelques informations pratiques:

Souzdal est malheureusement difficile d’accès. Le mieux est sans doute de s’y rendre par la route ou par minibus via Vladimir. Il est en effet possible, à condition de partir tôt et de revenir assez tard à Moscou, de se rendre en train à Vladimir (1h40 de trajet), de visiter le matin le centre historique de cette ville, puis l’après-midi Souzdal. La gare routière de Vladimir qui dessert Souzdal est en effet juste en face de la gare ferroviaire. Il peut être intéressant de dormir à Souzdal. En effet, le nombre de centres d’intérêt et leur dispersion aurait justifié deux demi-journées complètes et non une seule.

Itinéraire à Vladimir

Vladimir (Владимир) est une ville de 340000 habitants au Nord-est de Moscou. Elle fait partie de l’Anneau d’Or et est, tout comme Serguiev Possad, facilement accessible en train. Son centre-ville permet de se plonger briévement dans l’histoire de la Russie médiévale, à une époque où Moscou n’était pas encore une capitale, ni même une ville de première importance. Il est possible de coupler sa visite avec celle de Souzdal qui se trouve non loin. C’est d’ailleurs ce qui fit l’auteur de ces lignes, un jour de mai.

Après avoir gagné de très bon matin la gare de Kourskaya (Курская), chère à l’auteur de Moscou sur Vodka (Москва Петушки), je pris un train rapide assez confortable qui me permit de rejoindre Vladimir en une heure et quarante minutes. De là, je pris la rue qui montait en forte pente vers le centre-ville, afin de gagner la principale curiosité: la cathédrale de la Dormition (Успенский собор) qui fut, au Moyen-âge, un édifice religieux de tout premier plan en Russie.

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Avant d’y accéder, on pouvait deviner sur la gauche, au sommet de la colline surplombant la gare, les murs du monastère de la Nativité. Arrivant à son niveau, je décidai d’en longer les murs, afin de profiter du panorama sur la vallée de la Kliazma. Le ciel était alors chargé en ce mois de mai étonnamment froid et pluvieux. Après quelques centaines de mètres sur un sentier agréable, bordé d’arbres et tranquille, j’arrivai sur un parc flanqué d’une belle église blanche. Il s’agissait en réalité de la cathédrale Saint-Dimitri, l’un des bâtiments les plus anciens de la ville, construite entre 1194 et 1197 par le prince Vsevolod III. Sa façade est célèbre pour ses sculptures surprenantes. Son aspect est probablement très proche de celui de la cathédrale de la Dormition érigée par son prédécesseur, puisque cette dernière n’avait au départ qu’une seule coupole.

Regard sur l’histoire de Vladimir

La ville, selon les livres russes d’histoire, aurait été fondée en 1108 par Vladimir Monomaque (Владимир Мономах) petit-fils d’un empereur byzantin par sa mère, considéré comme l’un des plus grands princes de la Russie kiévienne (Киевская Русь), ne serait-ce que par son talent à faire taire les dissenssions et ses nombreuses campagnes victorieuses contre les Coumans des steppes méridionales (половцы pour les Russes, un peuple turcophone, connu aussi sous le vocable de Kiptchaks, apparu vers la fin du IXe siècle dans l’espace compris entre Dniepr et Volga, dont ils délogèrent les Petchénègues). Il s’agissait alors de créer un avant-poste fortifié au Sud de la principauté de Souzdal. Selon certaines sources cependant, elle aurait pu être fondée dès 990. A la mort de Vladimir Monomaque en 1125, les querelles intestines entre les princes de la Russie kiévienne reprirent. L’enjeu suprême était le contrôle de Kiev et le titre de Grand-Prince de la « ville sur le Dniepr ». L’un des fils de Vladimir Monomaque, Iouri Dolgorouki (Юрий Долгорукий; « au long bras ») prince de Souzdal et Vladimir, fut obsédé par la prise de cette ville. Il fit même alliance avec les Coumans, dont il épousa la fille du khan, à cette fin. Deux fois, il s’en empara et deux fois, il en perdit le contrôle. La troisième fut la bonne, mais il y mourut probablement assassiné en 1157, après y avoir régné seulement deux ans. Iouri Dolgorouki fut incidemment le fondateur de Moscou en 1147. Il fonda d’ailleurs de nombreuses autres villes dans la « Rus » du Nord-est. Son fils, Andreï Bogolioubski (Андрей Боголюбский ; « Aimant Dieu ») lui succéda à la tête de la principauté de Vladimir-Souzdal en 1157. Il se tourna contre les Bulgares turcophones de la Volga à l’Est en 1164 et mit à sac leur capitale Bolgar. Il prit à son tour le contrôle de Kiev en 1169, mais ne chercha pas à s’y implanter: la ville fut en partie incendiée et certains de ses trésors transférés à Vladimir, où il retourna avec son armée. Des travaux d’embellissement importants furent lancés à Vladimir, dont la construction de la cathédrale de la Dormition. Peu à peu, Kiev fut supplantée. Bogolioubski périt en 1174, victime d’une conjuration de nobles locaux. Son successeur Vsevolod III poursuivit son œuvre et la ville connut un âge d’or. L’irruption des Mongols de Batu en 1238 fut une catastrophe d’ampleur, pour ainsi dire, biblique. Les forces de Vladimir qui avaient assisté passivement au sort funeste de la principauté rivale de Ryazan furent assiégées à leur tour en leur ville. Cette dernière fut prise et dévastée, une bonne partie de la population massacrée. Pendant plusieurs années les troupes mongoles vécurent sur les terres russes, avant de s’en retirer vers les steppes. Sur 74 villes de la Russie kiévienne, 64 auraient été détruites, parmi lesquelles 14 auraient disparu à jamais. La ville de Vladimir put renaître de ses cendres, mais ses dirigeants durent longtemps payer un tribut au khanat de la Horde d’Or et furent obligés de faire confirmer leur pouvoir par les Khans à chaque intronisation. Ces derniers considéraient d’ailleurs ostensiblement les Grand-Princes de Vladimir comme occupant le premier rang parmi les princes russes. De fait, après l’invasion mongole, la principauté connut une relative anarchie, surtout après la mort d’Alexandre Nevski en 1263. Elle fut de nouveau mise à sac par les Tatars en 1293. En 1299, le métropolite quitta Kiev pour s’y installer. Au XIVe siècle, la ville fut finalement supplantée par Moscou, notamment dès lors que ce dernier y déménagea.

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Cathédrale de la Dormition et son clocher (Vladimir)

Puis, gagnant la rue centrale, dite rue de Moscou, je poursuivis sans tarder vers la cathédrale de la Dormition. Solitaire au sommet d’une colline qui domine la Kliazma et qui avait été occupée au VIIIe siècle par un village Mari, elle apparut d’abord sous la forme d’un clocher construit en 1810. On pouvait deviner ensuite la cathédrale en elle-même, dont l’origine remonte au début du XIIe siècle et à laquelle on accède par un petit porche, après avoir passé la chapelle Saint-Georges, ajoutée en 1862. Il y avait alors un office religieux, avec comme souvent de beaux chants. Je ne sais plus pourquoi je n’ai pas pris de photos de l’intérieur. Il me semble que les photos étaient interdites. En tout état de cause, les fresques sont très belles et pour certaines particulièrement anciennes et précieuses: si dans l’ensemble, la décoration murale date du XIXe, certaines fresques remontent à 1161 et d’autres ont été exécutées en 1408 par les fameux Ivan Roublev et Daniil Tchyorny. L’iconostase date, quant à elle, de Catherine II. Andreï Bogolioubski et son successeur y reposent.

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Entrée de la cathédrale de la Dormition de Vladimir

La cathédrale de la Dormition fut construite par Andreï Bogolioubski entre 1158 et 1160, puis transformée et agrandie entre 1186 et 1189 par son successeur Vsevolod III, à la suite d’un incendie. Sa renommée fut considérable, et ce d’autant plus qu’elle était destinée à abriter une icone réputée miraculeuse et ramenée de Kiev, connue désormais comme Notre-Dame de Vladimir. En 1238, quand les Mongols finirent par pénétrer dans la ville, une partie de la population s’y serait réfugiée avec l’épouse du Grand-Prince et y aurait péri dans l’incendie allumé par les troupes de Batou, dont l’habitude était de passer au fil de l’épée les populations des villes qui leur résistaient.

Regard sur l’icone de Notre-Dame de Vladimir

Selon la tradition, elle aurait été exécutée par Saint-Luc et montrée à Marie de son vivant, puis conservée à Jérusalem et transférée à Constantinople en 450. Une source écrite mentionne son arrivée à Kiev en 1131. Il est probable qu’elle ait été exécutée en fait par des artistes byzantins peu auparavant. En 1155, Ivan Bogolioubski la prit pour la ramener à Rostov, mais la légende veut que l’icone ait, en chemin, manifesté son intention de rester à Vladimir. Ce qui sera donc le cas, jusqu’à son transfert dans la cathédrale de la Dormition de Moscou en 1395. Se souvenant de la croyance populaire qui lui attribuait le mérite du retrait inespéré des troupes de Tamerlan qui approchaient de la Russie à la fin du XIVe siècle, Staline aurait demandé à la faire transporter en avion au-dessus de Moscou, au moment de l’approche allemande en 1941. Elle est conservée dans la galerie Tretiakov.

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Vue de côté de la porte d’Or de Vladimir, dont le porche fait 14 mètres de haut

Reprenant ensuite la rue de Moscou, je gagnai la porte d’Or, dernier vestige des murailles qui ceinturaient la ville médiévale sur près de sept kilomètres. Elle fut construite entre 1158 et 1164. Lors de l’assaut de la horde tataro-mongole de Batou en 1238, le jeune prince Vladimir, fils du Grand-Prince, fut amené devant la porte et supplicié, lorsque les défenseurs refusèrent de se rendre. Le monument appartient au patrimoine mondiale de l’UNESCO. Il abrite aujourd’hui un petit musée sur le sac de la ville par les Mongols.

Revenant vers la gare par la rue de Moscou, je décidai de passer rapidement par le monastère de la Nativité, fondé en 1191 et considéré comme l’un des monastères les plus importants de Russie, jusqu’au XVIe siècle. Il abrita d’ailleurs les restes d’Alexandre Nevski jusqu’à l’époque de Pierre le Grand qui les fit transférer à Saint-Pétersbourg. Je ne m’y attardai pas, car il s’agissait de gagner Souzdal par un petit bus et d’y trouver un endroit pour y déjeuner avant toute chose.

Quelques informations pratiques

On peut aisément gagner Vladimir en train depuis Moscou (1 heure 40 environ et 3500 roubles A/R, soit environ 50€), visiter en moins d’une demi-journée les principaux monuments, concentrés sur la belle rue de Moscou, dont beaucoup de bâtiments datent des XVIII-XIXe siècles, puis rejoindre Souzdal en minibus à partir de la gare routière face à la gare ferroviaire pour un prix dérisoire.

Pour en savoir plus: l’excellent guide Vert Michelin sur Moscou et Saint-Pétersbourg. Le Petit Futé est moins bon à mon sens. Par ailleurs, sur l’histoire de la Russie, il existe une très belle encyclopédie (pour les enfants!): История России для детей и взрослых, Белый Город.

Itinéraire à Kazan

Kazan (Казань) est probablement la plus jolie grande ville après Moscou et Saint-Pétersbourg. Capitale du Tatarstan,  son offre culturelle est mixte, ce que résume bien la coexistence au sein de son magnifique kremlin d’une grande mosquée et d’une grande cathédrale orthodoxe. Située à 830 kilomètres à l’Est de Moscou (un peu plus de 700 km à vol d’oiseau), elle borde l’immense Volga et offre des perspectives de belles escapades, par exemple vers l’île de Sviajsk.

L’auteur de ces lignes s’est rendu à Kazan en train de nuit, en début d’un mois de mars. Il s’agissait donc d’un voyage en hiver, avec le côté aléatoire que ceci peut revêtir en Russie. Il fait en principe évidemment encore un peu plus froid là-bas qu’à Moscou, même si la période des températures très basses (plutôt janvier) est passée. Dans ma tête, résonnaient les mots prononcés un jour par un professeur russe éminemment sympathique, même s’il me semble qu’elles s’adressaient avant tout à l’Altaï: le « février azuréen », par allusion au beau ciel bleu des jours de gel. J’espérais donc pouvoir bénéficier de beaux paysages de neige sur fond de ciel azur.

Le trajet aller pour Kazan débuta donc à la gare éponyme vers 23h00. Il se fit entièrement de nuit et dura pratiquement 12 heures. Comme compagnon de voyage, il y eut un homme à la longue barbe, portant tunique et calotte musulmane. Peu loquace, il passa le voyage avec son chapelet. Au petit matin, un petit-déjeuner chaud fut servi, comme c’est en général l’usage dans les trains de nuit en compartiment de quatre couchettes, dit « coupé ». La campagne était évidemment enneigée et le ciel était chargé de nuages gris.

Après avoir rejoint l’hôtel, l’après-midi fut directement consacrée à la visite du centre-ville et du kremlin de Kazan. La température était légèrement négative et la luminosité assez faible en cette journée d’hiver faisait assez mal ressortir les couleurs de l’axe piéton central, constitué par la rue Bauman, sur le trajet qui mène au complexe fortifié qui domine la Kazanka. En fait, ce qui me frappa le plus, ce fut l’absence de bâtiments de haute taille et l’impression, non d’être dans une ville millionnaire, mais plutôt dans une petite ville de province de l’Empire à la fin du XIXe siècle.

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Le premier monument à attirer le regard fut le spectaculaire clocher de l’Epiphanie (Богоявленскaя колокольня) , construit en 1897 dans un style néo-russe, sur legs testamentaire d’un riche marchand. Haut de 74 mètres, il nécessita plus de 2 millions de briques et accueillit au deuxième étage une petite salle de culte. Il semble que sa démolition ait été envisagée dans les années 30, comme nombre de bâtiments religieux, mais que l’on y ait renoncé du fait du risque encouru par les habitations voisines. On devine, derrière ce clocher, la belle petite cathédrale de l’Epiphanie, datant du XVIIIe. En poursuivant sur la rue Bauman, je dépassai divers magasins à souvenirs, des cafés et restaurants d’autant plus engageants que l’air était frais et que la faim commençait à se faire sentir. Contournant une reproduction en ferronnerie d’un carrosse de Catherine II – allusion à une visite impériale en 1767, je pris à droite en direction de la cathédrale Pierre et Paul (Петропавловский собор), dont le style et le choix des couleurs sont pour le moins inhabituels. Elle a été construite entre 1723 et 1726, elle-aussi, sur les fonds privés d’un riche marchand, en souvenir de la visite de Pierre Ier en 1722. La maison de ce négociant existe d’ailleurs toujours à proximité. Il y avait hébergé le Tsar. A l’intérieur, on trouve une salle de culte « d’été » à l’étage supérieur et une autre plus petite et plus chaude à l’étage inférieur. Les motifs floraux, les murs beiges, la belle décoration intérieure du siècle suivant, font de cet édifice appartenant au baroque russe un endroit à voir absolument dans cette ville qui ne manque pas d’atouts touristiques. Elle abrite une belle icone : l’icone de la Mère de Dieu des sept Lacs (Седмиозёрная икона Божией Матери). Présente depuis 1615 dans l’Ermitage des Sept lacs, cette image sainte fut amenée à Kazan en 1654, pour y faire cesser la peste. La peste cessa effectivement à son apparition, mais reprit après le retour de l’icone à l’Ermitage. Elle fut donc ramenée et de nouveau l’épidémie s’arrêta. En souvenir de ce miracle, chaque année, le 25 juin, une procession partait de l’Ermitage pour Kazan, où l’icone était accueillie par une foule immense qui se prosternait à son apparition. Cette tradition disparut à la Révolution. On peut rajouter à cela que le fameux acteur et chanteur d’opéra Chaliapine, gloire de Kazan, où il est né et où sa maison existe toujours, s’y est produit.

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Un déjeuner s’imposait désormais avant de visiter le complexe fortifié de Kazan. Un restaurant situé en plein milieu d’une rue de traverse permit de se restaurer et de se réchauffer quelque peu. Je pris une soupe de nouille et quelques mets tatars, ressemblant à des samoussas. En Russie, on peut manger pour ainsi dire à toute heure, ce qui est évidemment plus pratique qu’en France, où les plages horaires pour prendre les repas sont au fond assez limitées, ce qui doit surprendre plus d’un touriste étranger.

La rue du Kremlin, parallèle à la rue Bauman, débouche sur la place du 1er Mai qui donne directement sur l’entrée massive du complexe fortifié, par la tour du Sauveur. La vue des hautes murailles blanches est en soi impressionnante. Elles ont été construites dans les années 1560, peu après la prise de la ville, afin d’asseoir la domination russe sur la région. Leur hauteur atteint par endroits 12 mètres. Les architectes venaient de Pskov et étaient les mêmes que ceux qui édifièrent la cathédrale Saint-Basile sur la place rouge. La prise de Kazan par Ivan le Terrible en 1552, permit non seulement d’abattre définitivement le grand rival oriental et d’en finir avec le « joug tatar », mais aussi d’ouvrir les routes de l’Oural, et au-delà de la Sibérie, à la conquête. Le kremlin de Kazan, qui domine la ville et la Kazanka, a été construit à l’emplacement de l’ancienne forteresse des Bulgares de la Volga.

Sur la gauche, après l’entrée, une petite église qui date de 1558 est tout ce qu’il reste du monastère de la Transfiguration, détruit à l’époque soviétique. Attiré par les remparts et leurs chemins de ronde, puis par la haute silhouette des minarets, je me mis à les longer, avant de déboucher sur une petite place permettant d’admirer la mosquée Koul-Charif (Мечеть Кул-Шариф).

Regard sur Kazan

La capitale de la république du Tatarstan compte près de 1 200000 habitants. La moitié de la population est tatare et si leur religion est en principe musulmane, la religiosité reste assez faible et il s’agit traditionnellement d’un Islam éclairé et modéré, même si malheureusement, là comme ailleurs, des influences radicales ont pu se faire sentir à partir des années 90, notamment en provenance du GolfeDans le climat de décomposition accélérée de l’Etat russe sous les années Eltsine, l’affaiblissement du pouvoir central entraîna une montée des revendications identitaires. Les tensions culminèrent durant l’année 1994, durant laquelle on put percevoir une forte tentation indépendantiste, ce qui aurait pu avoir des conséquences gravissimes, si le pouvoir local de l’époque, détenu par Mintimar Chaïmiev, n’avait choisi la voie de la modération et du compromis. Une assez large autonomie fut alors accordée à la république du Tatarstan qui fut le seul « sujet de la Fédération russe » à pouvoir bénéficier d’un traité avec le Centre, fixant les prérogatives respectives. Symboliquement, le chef de l’exécutif local fut aussi le seul à obtenir le droit de s’appeler « président de la république ». De fait, les prérogatives dévolues au Tatarstan, excipant de la pratique habituelle en matière de dévolution des pouvoirs à des autorités provinciales, furent supprimées en 2007, et à l’exception du titre présidentiel, ce « sujet de la Fédération » rentra dans le rang. En 2017, l’enseignement du tatar qui avait été imposé dans toutes les écoles du Tatarstan, y compris aux nombreux enfants d’une nationalité autre que tatare, perdit son caractère obligatoire, sur injonction de Vladimir Poutine, ce qui entraîna une polémique assez vive.

Kazan fut fondée vers 1005, au confluent de la rivière Kazanka et de la Volga, quand la principauté des Bulgares de la Volga y établit une forteresse à ses confins occidentaux. La date exacte de la construction de cette place-forte n’est pas connue et 1005 semble donc avoir été choisie par le pouvoir local à des fins de célébration d’un millénaire, ce qui permit de lancer des travaux d’embellissement et de modernisation de la ville de très grande ampleur. Le Khanat bulgare de la Volga était né de l’éclatement de la « Grande Bulgarie » qui avait, vers 630, dominé l’espace correspondant à la Russie méridionale actuelle. Leur capitale avait été établie près du confluent de la Volga et de la Kama à Bolgar. En 922, ce peuple turcophone avait adopté l’Islam. Périodiquement en lutte contre la Rus de Kiev, le khanat de la Volga fut anéanti en 1236 par l’armée mongole de Batu. Une grande partie de sa population aurait été alors massacrée, par les cavaliers du Grand Khan Ogödaï, fils et successeur de Gengis-Khan. Toute la région passa alors sous la domination du Khanat de la Horde d’Or, lequel vassalisa par ailleurs les principautés russes au Nord-ouest. Au début du siècle suivant, la Horde d’Or se morcèla à son tour, donnant naissance à plusieurs Etats, dont le khanat de Crimée, celui d’Astrakhan et celui de Kazan. Ce n’est qu’à ce moment-là que Kazan commenca réellement à se développer. Il semble que la capitale de l’éphémère khanat ait été relativement prospère à partir de 1438 et se soit rapidement développée et embellie. Pendant un certain temps, cet Etat se comporta vis-à-vis de ses voisins russes, comme jadis la Horde d’Or, organisant divers raids destinés à rapporter à la fois des esclaves et du butin. Cependant au tournant du siècle, le rapport de forces évolua. Quand les trois khanats unirent leurs forces contre la puissance croissante de la Moscovie, il était trop tard: en 1552, Ivan le terrible déclencha la campagne finale contre Kazan. Après la prise de la ville, les mosquées furent rasées, la population tatare fut évacuée, des colons russes furent implantés et une puissante forteresse fut construite à l’emplacement de l’ancienne place-forte des Bulgares, tandis que des églises et catédrales commencaient à sortir de terre. Kazan devint une ville russe et un tremplin vers l’Est, s’enrichissant grace à sa position de carrefour entre Moscou et la Sibérie d’une part, sa situation sur la Volga d’autre part. Ce n’est cependant que vers la fin du XIXe siècle qu’elle atteignit 100000 habitants. Elle était alors l’une des trois plus grandes villes de province (avec Saratov et Nizhny Novgorod), si l’on considère Moscou et Saint-Pétersbourg comme des capitales. Elle est aujourd’hui toujours un centre régional dynamique avec des entreprises comme Tatneft (pétrole) ou Kamaz (camions), un enseignement supérieur développé et de gros atouts touristiques, encore sous-exploités.

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La mosquée Koul-Charif est un édifice élégant, tout en hauteur (ses quatre minarets atteignent 58 mètres) et paré de blanc et de turquoise. Sa construction est très récente, puisqu’elle n’a été commencée qu’en 1996 et n’a été inaugurée qu’en 2005 pour le millénaire putatif de la ville. Baptisée du nom du dernier imam de Kazan, tombé durant le siège, elle a une coupole qui rappelle la couronne des khans du XVe siècle. A proximité de l’emplacement actuel et probablement à la place de l’ancienne école de Cadets adjacente, s’élevait l’ancienne grande mosquée de Kazan, réputée avoir eu 8 minarets, mais dont on n’a jamais retrouvé de description précise. Elle fut détruite lors du siège de 1552. Autant centre culturel que cultuel, la mosquée Koul-Charif est ouverte au public et a été décorée somptueusement: tapis iraniens, marbre et granit de l’Oural. Je pus accéder facilement à l’intérieur et passer dans une galerie en hauteur spécialement aménagée pour des visiteurs. Au premier étage, se trouve un musée de l’Islam comportant divers objets remontant pour certains à l’époque des Bulgares de la Volga.

IMG_0374 blogAprès cette visite, je décidai naturellement de gagner l’autre grand bâtiment qui attire immédiatement le regard: la tour de Soyembike (Башня Сююмбике). Construite sans doute au XVIIe siècle, elle penche désormais nettement d’un côté, un peu comme la tour de Pise. Elle est associée à une curieuse légende, d’autant moins crédible qu’elle a certainement été construite, plus de 100 ans après les faits imaginés, auxquels elle est associée. Je la relate tout de même en dépit de son caractère très fantaisiste: Ivan le terrible serait tombé amoureux de la dernière reine tatare de Kazan et lui aurait demandé de l’épouser; cette dernière lui aurait promis sa main en échange d’une tour de sept étages à construire en sept jours; la prouesse architecturale ayant été réalisée, elle aurait gravi ces étages pour se précipiter dans le vide. Au pied de la tour, les restes du mausolée des khans, exhumés lors de fouilles archéologiques dans les années 1970 sont exposés aux vues du public.

Juste à côté de la Tour, on trouve le palais du chef de l’exécutif du Tatarstan. On accède à ce beau bâtiment, construit en 1840 pour le gouverneur général, sur l’emplacement du palais des anciens khans, par une très belle grille de fer forgé. A proximité, dans l’ancienne église du Palais, il faut visiter le très intéressant musée de l’histoire étatique tatare (Музей истории государственности Татарстана). Au-delà de quelques curiosités, telle une reproduction du trône des anciens khans, l’histoire – très méconnue – de la région est exposée de façon pédagogique.

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Revenant maintenant sur la rue centrale du Kremlin, je me dirigeai vers la très belle cathédrale de l’Assomption (Благовещенский собор). Si en cette après-midi finissante, les couleurs restaient quelque peu ternes, il en irait tout à fait différemment le lendemain, lorsque j’allais refaire le même itinéraire par un temps splendide. Construite sur ordre d’Ivan le terrible, elle fut achevée en 1562. Dès son entrée triomphale dans Kazan, le 4 octobre 1552, le jeune Tsar choisit lui-même son emplacement et fit construire en trois jours une église provisoire en bois. Des matériaux récupérés sur les mosquées détruites furent réutilisés. L’intérieur est somptueux.

Il était temps de rentrer et de dîner quelque part sur la rue Bauman.

Le lendemain devait être consacré à la visite de deux lieux situés à l’extérieur de Kazan et, pour cela, l’hôtel contacta un taxi. Pour une somme en rien comparable à la tarification française, il allait être à ma disposition jusqu’en début d’après-midi, pour aller voir le monastère de Notre-Dame de Raifa (Раифский Богородицкий монастырь), puis l’île de Sviajsk.
Autant la journée précédente avait été nuageuse, froide et grise, autant cette journée-ci allait avoir un caractère presque printanier: le ciel était magnifique, d’un bleu profond; le soleil avait commencé à faire fondre la neige, faisant ruisseler de nombreux filets d’eau ; le temps, en rendant gràce à la beauté des paysages et des lieux visités, allait permettre de voir Kazan et ses environs sous un jour bien différent.
Le trajet en taxi fut agréable: le conducteur avait mis la radio. Il y eut des chansons de Joe Dassin et Patricia Kaas. Il écoutait Taxi FM, une radio que je me suis mis à écouter par la suite et qui, souvent en effet, diffuse des chansons de ces deux chanteurs, indémodables semble t-il en Russie. où l’on admire toujours Mireille Mathieu, comme on a admiré d’ailleurs le regretté Charles Aznavour. A certains moments, nous longeâmes la Volga. Elle était recouverte de neige et l’on y distinguait des grappes de points noirs, correspondant à des pêcheurs au loin, qui avaient creusé un trou dans la glace de ce fleuve aux dimensions de la Russie.

En arrivant au monastère, après avoir parcouru environ 25 kilomètres vers le Nord-ouest, je remarquai de nombreuses voitures arrêtées sur le parking et des gens sortant des bouteilles en plastique. A l’évidence, l’endroit était populaire et l’eau devait être réputée avoir encore quelque vertu surnaturelle. De part et d’autre du chemin menant au complexe monastique, il y avait beaucoup de neige et il ne s’agissait pas de s’y aventurer. Au loin, se détachait, s’élevant haut dans le ciel, le clocher surmontant la porte d’entrée, au milieu des murs ceinturant Notre-Dame de Raifa. Construit entre 1899 et 1903 et surmonté d’un bulbe doré, on lui avait donné une hauteur de 60 mètres. Après avoir franchi le porche, la vue des différents bâtiments conventuels, avec leurs couleurs qui tranchaient sur le blanc du sol et le bleu du ciel, était tout simplement magnifique.

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Ce monastère fut fondé en 1613 au bord d’un lac et comprend divers bâtiments religieux sans grande unité architecturale. A l’origine, tout était en bois. C’est après un incendie que peu à peu, des édifices en pierre furent construits. Aux murs de pierre blanche ceinturant le complexe monastique sur un demi-kilomètre, à partir de 1690, s’ajoutèrent la belle église des Saints Pères de Raifa et du Sinaï en 1708, dont les murs blancs et les toits verts attirent immédiatement les regards, une fois le porche franchi. C’est d’ailleurs ce bâtiment que j’ai trouvé le plus photogénique en cette belle journée hivernale, car légèrement à l’écart, parmi les pins, et comme posé au milieu de la neige. L’église de la Vierge de Géorgie qui date de 1835-1842 se caractérise par  une large coupole bleue et apparaît immédiatement sur la droite après l’entrée. La cathédrale de la Sainte-Trinité, construite tardivement dans un style néo-russe (1904-1910) se découvre un peu plus loin sur la droite et ses bulbes dorés resplendissent au soleil. A cet ensemble hétéroclite, il convient de rajouter la minuscule église Sainte-Sophie, où seules sept personnes peuvent tenir. 

C’est un moine du nom de Philarète qui est à l’origine du monastère. Quittant Moscou, en proie à l’âge des Troubles, il gagna Kazan, puis de là, gagna une forêt de pins en bordure d’un lac, réputée sacrée pour le peuple païen des Maris. Ils lui firent pourtant bon accueil. Incidemment, les Maris parlent une langue finno-ougrienne et ont pour certains encore conservé leurs croyances ancestrales. Le monastère fut appelé de Raifa en souvenir de moines anachorètes, martyrisés au IVe siècle dans le Sinaï.  L’arrivée d’une copie de l’icone de la Vierge de Géorgie au milieu du XVIIe siècle lança un pèlerinage qui dure encore. Devenu prison politique dans les années 30, puis centre de redressement, le complexe a été rendu au culte en 1991. Au titre des légendes amusantes, il semble que l’on ne puisse entendre de grenouilles à moins d’un kilomètre du monastère. Ceci serait dû à la supplique d’un moine, désespéré d’être troublé dans ses prières par les coassements des batraciens.

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Après avoir retrouvé le conducteur, je repris la route pour l’île de Sviajsk (Свияжск). Située sur la rivière Sviyaga, à l’embouchure sur la Volga, elle se trouve à trente kilomètres à l’Ouest de Kazan. En 1551, en prévision de sa campagne contre le khanat, Ivan Grozny y fit établir une forteresse en bois, destinée à servir de base logistique, dans une zone qui appartenait alors à la Moscovie. Les éléments destinés au camp retranché avaient été construits à l’avance et acheminés par la Volga. Après la prise de Kazan, deux monastères y furent fondés entre 1552 et 1560 et un bourg apparut. L’endroit est vraiment isolé et semble avoir été à l’écart du temps. La montée des eaux, due à la construction d’une centrale hydro-électrique à Kouïbychev a fait une véritable île de ce qui était en fait une hauteur au bord de la Sviyaga. Par la suite, une digue d’accès à été construite pour rejoindre Sviajsk en véhicule.

A l’arrivée sur le parking qui a été aménagé devant l’île, je pus constater qu’elle correspondait effectivement à un vaste promontoire, surplombant les environs, que ce soit la Sviyaga d’un côté et la Volga de l’autre. La colline était couronnée de hauts murs blancs, correspondant au monastère de l’Assomption, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Le ciel était toujours aussi bleu et je me hâtai de gagner un petit bâtiment administratif pour y acheter un billet d’entrée. On m’y fit remplir, tout sourire, un petit questionnaire sur les lieux visités au Tatarstan, signe de l’intérêt de cette république pour le tourisme. Puis m’engageant sur un chemin en forte déclivité, je gagnai le sommet. La fonte de la neige s’était accélérée: par endroits, de fins filets d’eau ruisselaient vers le fleuve.

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Arrivé sur le rebord de ce qui apparaissait désormais comme une sorte de plateau, le monastère de l’Assomption se découvrit dans toute sa largeur. Une porte fortifiée, très semblable à celle du Kremlin de Kazan permettait d’y accéder. Construit entre 1556 et 1561, le monastère devint au XVIIIe siècle l’un des plus riches de Russie. Il disposait de terres, travaillées par près de 7000 paysans. Après la réforme agraire de 1764 qui vit leur sécularisation, le monastère connut un brusque déclin. Ainsi que les autres lieux de culte sur l’île, il souffrit à l’époque soviétique. Il devint alors un centre pénitentiaire puis un hôpital psychiatrique. Il a été rendu au culte en 1997.

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En continuant vers la rive opposée, par une petite rue partant vers la droite et s’éloignant des murs du monastère de l’Assomption, je vis sur la droite un deuxième ensemble religieux, nettement plus petit et très hétéroclite. Il s’agissait du monastère de Saint-Jean le Baptiste (Иоaнно-Предтеченский монастырь). Ceint lui-aussi d’un mur, il comprenait une belle église en bois, malheureusement alors fermée au public, correspondant à l’église de la Sainte-Trinité (Троицкая церковь) construite au printemps 1551, sans un clou, selon l’usage de l’époque. Édifiée en un temps record, en même temps que les palissades de bois assemblées à la hâte pour préparer la campagne de 1552 contre Kazan, cette église vit probablement Ivan le terrible et ses voïévodes prier avant le début des opérations en cette année-là. Fait rare, elle est pratiquement restée intacte, même si des restaurations récentes lui ont restitué son aspect premier, modifié peu à peu au cours du temps. Il s’agit probablement de l’une des plus anciennes églises russes en bois. Juste derrière elle, la cathédrale de l’icone de la Vierge de la « Joie de tous les affligés » (Скорбященский собор), construite dans un style néo-russe entre 1898 et 1906. Son aspect extérieur, rappelant Byzance, tout en couleurs marron et argent, déconcerte et tranche avec l’église de la sainte-Trinité. L’intérieur de ce haut édifice est somptueusement décoré de fresques, restaurées trés récemment. A l’époque soviétique, il servit de centre de détention pour mineurs. Juste à côté encore, l’église en pierre blanche de Saint-Serge de Radonège date de 1604.

Poursuivant mon chemin, vers l’embarcadère, je finis par atteindre la rive de la Volga. Sur sa vaste surface plane et blanche, on pouvait deviner au loin de minuscules points noirs. Encore des pêcheurs qui avaient percé la glace en cette belle journée d’hiver. Longeant la rive et dépassant de nombreux bâtiments manifestement anciens, dans cet endroit calme et hors du temps, je finis par obliquer vers la sortie en prenant par la rue centrale. Un moment, je ne pus détacher mon regard en me retournant de ce spectacle d’endroit du bout du monde, constitué par l’église isolée de Constantin et d’Hélène (церковь Константина и Eлены) et un bâtiment peint en rose pastel (correspondant je crois au musée de la guerre civile) se détachant sur le fond blanc de la Volga et de la rive en surplomb.

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Le trajet retour fut rapide. J’indiquai au conducteur le Kremlin de Kazan. Par ce temps magnifique, je résolus de revoir rapidement ses principales curiosités. Le soleil avait, là aussi, fait surgir de fins ruisselets. Après une visite au pas de charge et quelques beaux clichés, je m’engageai dans la rue Bauman, où je passai rapidement à côté de ce qui subsiste du monastère de Saint-Jean Baptiste, fondé en 1568 par Saint Germain de Kazan et où se trouvent ses restes. La cathédrale qui s’élevait là a disparu, comme tant d’édifices religieux dans les années 30. Juste à côté, se dresse une très jolie église du début du XVIIIe siècle, dite de l’Intercession.

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Mais je pressai le pas. La faim commençait à me tenailler après toute une journée dehors, sans prendre de déjeuner. Le séjour à Kazan se terminait et je regrettais de n’avoir consacré que deux jours à la ville et ses environs. Le soir, j’allais rejoindre la gare pour rentrer à Moscou. Le temps s’était nettement refroidi.

Regard sur l’icone de la Vierge de Kazan

Le monastère de notre-Dame de Kazan, en contre-bas du Kremlin se dresse à l’emplacement, où le 21 juillet 1579 (8 juillet orthodoxe), fut retrouvée une icone mariale, par une petite fille et sa mère, après un incendie qui avait dévasté Kazan. La Vierge serait ainsi apparue en songe à la petite Matrona, en lui enjoignant avec insistance de creuser en un certain endroit. La nouvelle de la trouvaille miraculeuse se répandit rapidement et l’image sainte fut transportée par la foule à la cathédrale de la Dormition. En chemin, deux aveugles auraient, à ce moment-là, retrouvé la vue. Apprenant lui-même la nouvelle, Ivan le Terrible ordonna la construction d’une église en bois, puis d’un couvent sur le lieu, où l’icone de Notre-Dame de Kazan avait été exhumée. En 1612, les milices russes qui reprirent Moscou aux forces polonaises, avaient emmené avec elles, ce qui était sans doute une copie de cette image sainte. Elle fut transférée dans l’église du même nom, construite sur la Place rouge sur ordre du prince Pojarski, afin de l’abriter. Pierre le Grand aurait prié devant elle, à la veille de la bataille de Poltava qui marqua le commencement de la fin pour la puissance suédoise, alors dominante dans le nord-est de l’Europe. Plus tard, elle fut transférée dans la grande cathédrale de Notre-Dame de Kazan sur la perspective Nevski à Saint-Pétersbourg. En 1904, ce qui était probablement l’original, toujours conservé à Kazan, fut dérobé. Selon certaines versions, l’icone aurait été alors brûlée après avoir été dépouillée des pierres et métaux précieux qui avaient orné le cadre sur ordre de Catherine II en 1768. Selon d’autres, elle aurait été vendue. La nouvelle de sa perte causa alors une immense émotion et fut interprétée comme le signe de malheurs à venir. En 1964 à New York, une copie – datant sans doute de la première moitié du XVIIIe siècle – fut acquise par une association catholique, puis cédée au Vatican. En 2004, le Pape Jean-Paul II fit don de l’image sainte au Patriarche de Moscou, en un geste de bonne volonté oecuménique. Cette icone fut ensuite transférée au monastère de Kazan et une tradition ancestrale, qui consistait à la mener en procession de la cathédrale de la Dormition au lieu de sa découverte et de sa conservation, le 21 juillet, fut ressuscitée.

Informations pratiques:

Se rendre à Kazan est aisé à partir de Moscou, soit par le train, soit par avion. Dans un cas comme dans l’autre, il en coûtera environ 6000 roubles (une centaine d’euros). Le plus judicieux est sans doute de prendre le train de nuit (environ 12 heures), ce qui économisera une nuit d’hôtel, mais est évidemment fatiguant, même si les couchettes sont confortables.

Se loger est aisé et il convient de chercher à rester dans le centre-ville historique.

Outre les curiosités évoquées, il faut mentionner: les ruines de la ville de Bolgar à une centaine de kilomètres de Kazan; en périphérie de la ville, le kitschissime temple de toutes les religions qui a réouvert récemment après avoir brûlé; la maison Chaliapine; le monastère de Notre-Dame de Kazan.

Pour se rendre à Sviajsk, en été, on peut prendre le bateau. En hiver, mieux vaut demander un taxi (1 heure de trajet depuis Kazan) et convenir d’un prix (3000 roubles devraient être raisonnables et on peut se rendre par la même occasion au monastère de la Vierge de Raifa).

Itinéraire à Serguiev Possad

Serguiev Possad (Сергиев Посад) fait partie de « l’Anneau d’or » (Золотое Кольцо) un ensemble de villes dans la lointaine périphérie de Moscou qui ont conservé un fort patrimoine historique.  Facilement accessible par le train ou par la route, elle se trouve à 72 kilomètres au Nord-est de la capitale et peut donner lieu à une excursion d’une journée. C’est un détour à envisager, pour ceux qui souhaitent avoir un aperçu de la Russie profonde et ne pas en rester à la visite de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Son monastère, la Laure de la Trinité Saint-Serge (Свято-Троицкая Сергиева лавра) est splendide et inscrit au patrimoine mondial de l’humanité.

L’idéal est de partir le matin de la gare de Iaroslav (Ярославский вокзал) qui constitue un ensemble de trois gares très proches l’une de l’autre (les autres sont la gare de Kazan et celle de Leningrad), toutes accessibles par le métro Komsomolskaya (Комсомольская). En principe, c’est un train de banlieue, communément appelé « elektritchka » qui dessert Serguiev Possad. Le train est en soi un dépaysement: des paysages de forêts, de datchas de toutes tailles, des arrêts parfois improbables pour cueilleurs de champignons ou de baies sylvestres se succèdent, tandis que des vendeurs de brosses à dents, de chaussettes de laine, de calendriers, de bijoux ou d’une myriade d’articles plus ou moins utiles se succèdent dans les wagons pour arrondir leur fin de mois.

Après environ une heure et demie, le train arrive à la gare de Serguiev Possad, petite ville d’un peu plus de 100000 habitants. Il faut en gagner la périphérie Nord-ouest, ce qui peut se faire facilement à pied, en une petite demi-heure, afin de bénéficier d’une très belle vue sur le vaste ensemble monastique, défendu par de hauts murs blancs. Au moindre rayon de soleil, les bulbes dorés scintillent, tandis que la flèche du clocher se dresse haut dans le ciel.

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Vue sur le monastère de la Trinité Saint-Serge à Serguiev Possad, en venant de la gare

Regard sur la Laure de la Trinité Saint-Serge

Le monastère date pour l’essentiel de l’époque d’Ivan le terrible sous sa forme actuelle. Il tire cependant son origine d’un ermitage, fondé probablement en 1337 par Serge de Radonège, né vers 1314 à Rostov, dans une famille de boyars qui avait fini par s’établir à Radonège, localité proche de l’actuelle Sergiev Possad. Selon l’historiographie, celui qui allait prendre le nom de Serge comme moine et se prénommait alors Barthélémy aurait, à l’âge de 10 ans, rencontré un moine qui l’aurait miraculeusement débarrassé des problèmes qu’il rencontrait dans ses études et lui aurait prédit un avenir lumineux. Devenant de plus en plus mystique, Barthélémy finit par se retirer à la mort de ses parents dans un endroit isolé avec son frère Etienne, pour y mener une vie ascétique. Ils construisirent une petite chapelle, consacrée à la Trinité, sur l’emplacement actuel du monastère. La suite de l’histoire est celle d’une renommée croissante de Serge de Radonège, attirant fidèles et dons, acquérant un prestige considérable et générant un renouveau considérable de l’église orthodoxe et du monachisme en Russie, notamment au travers de la consécration de nombreux monastères. Il a encouragé le prince Dimitri Donskoï à s’élever contre le « joug tatar » pour la première fois depuis les grandes invasions mongoles de la fin du XIIIe siècle et a béni son armée deux jours avant la bataille victorieuse de Koulikovo en 1380. Il est donc associé au fait national russe et considéré comme une figure tutélaire de la Russie. Il s’éteignit en 1392 et fut canonisé quelques décennies plus tard. Réputé faire des miracles de son vivant, respecté voire vénéré par les puissants comme par le peuple, sa tombe dans le monastère qui porte son nom fut rapidement l’objet d’un pélerinage. Le premier ensemble monastique fut détruit par les Tatars en 1408. Reconstruit, il fut constamment embelli, et ce très tôt, comme par le célèbre peintre Ivan Roublev dans les années 1420. Le futur Ivan IV y fut baptisé et accorda une importance considérable au monastère. Il vint lui-aussi y rechercher la bénédiction du protecteur de la Russie en 1552, avant sa campagne contre les Tatars et y revint à son retour de Kazan, leur capitale, qu’il venait de prendre. Celui qui est plus connu sous le surnom du « Terrible » y revint encore en 1556, avant la campagne contre le khanat de Crimée et y apprit la prise d’Astrakhan, lors d’un nouveau séjour, la même année. La Trinité Saint-Serge fut considérée officiellement à partir de 1688 comme le plus important centre monastique de Russie, puis reçut le titre de « Laure » en 1742, terme désignant en principe un monastère, où les moines vivent en ermites dans des lieux reculés en semaine et se réunissent dans les bâtiments conventuels le samedi et le dimanche. C’est aussi une forteresse qui fut assiégée pendant 16 mois par les Polonais en 1608-1610 et où vint se réfugier Pierre Ier lors de la révolte des « streltsy » en 1682, puis de nouveau en 1689 pour échapper à sa soeur. Le commandant en chef des forces russes en Mandchourie, Kouropatkine vint s’y recueillir, avant la guerre malheureuse contre les Japonais en 1905, puis Nicolas II, peu après le déclenchement des opérations contre l’Allemagne impériale en 1914. Au mois d’août 1918, les autorités révolutionnaires procédèrent à des perquisitions massives puis à l’expulsion progressive des moines ; après un vol commis le mois suivant, elles placèrent les bâtiments sous protection. Les Bolcheviques n’osèrent le détruire et se contentèrent de le fermer en 1920 et d’en faire un musée ; Staline le rouvrit en 1946, pour en faire la résidence du patriarche, dans la logique de l’attitude qui fut la sienne envers la religion orthodoxe au moment de la « grande guerre patriotique ».

Le monastère est toujours un centre théologique important et les restes de Saint-Serge font l’objet d’un pélerinage. Certains estiment qu’il convient de s’adresser à lui en prière, dès lors que l’on espère de bons résultats dans les études.

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Entrée principale de l’ensemble monastique fortifié de Serguiev Possad

L’entrée se fait par la porte fortifiée (la « Sainte Porte », Святые ворота, qui date de milieu du XVIIIe siècle), par où se pressent une foule de visiteurs: curieux ou fidèles russes venus se recueillir, groupes de touristes chinois notamment. La muraille de pierre a été construite à partir de 1540 sur ordre d’ Ivan le Terrible et comprend 11 tours (sur les 12 d’origine) sur une circonférence de plus de 1200 mètres. L’apparence extérieure actuelle date des travaux de renforcement entrepris au milieu du siècle suivant.

Regard sur le siège de 1608-1610

Ces murs soutinrent un siège de plus d’un an mené par les Polono-Lituaniens du puissant magnat et aventurier de Vilnius, Jan Piotr Sapieha, qui avait choisi en 1607 de soutenir le « faux Dimitri », lors du temps des Troubles (Смутное время, littéralement la triste période), bien avant la décision du roi de Pologne d’intervenir. Plus de 10000 hommes, dont une petite majorité d’alliés locaux, assiégèrent alors une garnison d’environ 3000 soldats, paysans et moines armés, disposant d’une centaine de canons et commandée par le prince Grigori Dolgorukov, à partir du 3 octobre 1608. L’absence d’artillerie de siège pour les assaillants rendit l’entreprise d’emblée hasardeuse. Le supérieur du monastère refusa une reddition, en mettant l’accent sur la défense de la foi orthodoxe. Un premier assaut généralisé, de trois côtés à la fois, fut lancé le 11 novembre, mais échoua, notamment du fait de la puissance de feu de l’artillerie russe. Les tentatives, parfois hasardeuses de la garnison assiégée d’effectuer des sorties de harcèlement, faillirent entraîner un désastre en janvier 1609, lorsque la cavalerie polonaise parvint à atteindre la cour intérieure, en profitant de l’ouverture des portes pour l’une de ces actions. Les soldats russes qui étaient partis à l’attaque hors les murs, un temps isolés, durent leur salut à l’action de leurs canons, une fois de plus. Ils purent revenir vers la porte, au prix de 40 tués, ce qui mit à son tour en fâcheuse posture les cavaliers adverses qui avaient pu rentrer et qui se heurtaient déjà aux paysans et aux moines, munis d’armes de fortune. En février, la situation des assiégés devint délicate, du fait de l’épuisement des réserves de nourriture et de munitions. Un convoi de ravitaillement parvint aux défenseurs malgré une embuscade adverse, ce qui semble avoir motivé l’exécution de prisonniers par les Polonais puis en représailles de 61 captifs par les Russes. Un deuxième assaut général (nocturne) échoua en juin, puis un troisième (nocturne aussi) en août, notamment dans ce dernier cas en raison de la pagaille qui entraîna par méprise des heurts fratricides entre alliés russes et polonais. Ce nouvel échec semble avoir suscité la défection de boyars russes pro-polonais. La situation des assaillants commença à devenir précaire avec la progression des forces du Prince Mikhail Skopine-Chouïski et leur jonction avec la garnison assiégée. Le siège fut levé le 22 janvier 1610 et le hetman Sapieha, dont le comportement aura été typique de l’anarchie nobiliaire polonaise, sera défait un peu plus tard à la bataille de Dmitrov.

Peu après l’entrée, deux vastes bâtiments doivent faire l’objet d’une visite: à main droite, la cathédrale de la Dormition (Успенский собор) aux quatre bulbes d’azur enserrant un bulbe central doré et à main gauche, le long bâtiment qui abrite le réfectoire et l’Eglise de Serge (монастырская трапезная с церковью Сергия Радонежского). Evidemment, ils doivent faire l’objet d’une visite, car l’intérieur est magnifique.

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Cathédrale de la Dormition de Serguiev Possad en entrant par la porte principale

La cathédrale de la Dormition a été construite entre 1559 et 1585. Elle revêt une importance centrale, même si le bâtiment le plus important (il y en a une cinquantaine) est en réalité un peu plus loin, vers la muraille en face: l’Eglise de la Trinité (Троицкий собор) qui abrite le tombeau de Saint-Serge et date de 1422. Le bâtiment commencé à l’époque d’Ivan le Terrible abrite une belle iconostase de la fin du XVIe et des fresques du siècle suivant. Juste à côté, l’on peut voir la tombe du Tsar Boris Godounov et une petite chapelle aux tons rose pastel et blanc donnant accès à une source à l’eau réputée miraculeuse.

Devant l’entrée de la cathédrale de la Dormition, une fontaine aux couleurs vives, datant du XIXe siècle permet de s’approvisionner en eau sainte.

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La foule se presse autour de la fontaine pour y puiser un peu d’eau

L’ensemble est dominé par le joli clocher à cinq étages, haut de 88 mètres, peint en blanc et vert pastel. Construit entre 1741 et 1770, il supporte plusieurs dizaines de carillons et cloches de diverses tailles. La cloche la plus grosse a été fondue en 2003 dans un chantier naval de Saint-Pétersbourg et pèse 72 tonnes, ce qui en fait la plus massive du monde orthodoxe.

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Le clocher de la Trinité Saint-Serge s’élève haut vers le ciel et domine les autres bâtiments de ses 88 mètres

Pour accèder au tombeau de Saint-Serge, il faut s’armer de patience, car la queue commence dans la cour et peut-être longue… La petite église blanche de la Trinité aux bulbes dorés renferme une iconostase du début du XVe siècle réalisée par le célébre Ivan Roublev et est décorée par des fresques du XVIIe. Elle fut construite par des moines serbes qui avaient fui le Kosovo après la conquête turque.

Le réfectoire et Eglise Saint-Serge qui fut construit à la fin du XVIIe dans un style baroque est facile d’accès et magnifiquement décoré par des fresques du XIXe, tandis que sa partie arrière abrite une iconostase du XVIIe provenant de Moscou.

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L’église réfectoire et ses plafonds magnifiques

Il y a de nombreux autres bâtiments d’un intérêt divers et pas toujours accessibles, puisque le monastère abrite plus de 300 moines et des magasins, où l’on peut acheter des souvenirs ou des articles religieux, y compris des icones. Des reproductions de tableaux de Ryzhenko (Рыженко) ont tout particulièrement attiré mon attention. Cet artiste, malheureusement disparu prématurément en 2014, avait un talent incroyable pour les scènes historiques.

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Une scène historique peinte par Ryzhenko
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La cathédrale de la Dormition, vue du côté de l’entrée principale, avec la petite chapelle attenante abritant une source d’eau sacrée

Quelques informations pratiques

  • Comme indiqué en avant-propos, il est facile et peu onéreux de prendre un petit train régional à la gare de Iaroslav à Moscou, pour cette ville de l’Anneau d’or facile d’accès. Le trajet prend à peu près 1h30. Sur place, il convient de rester au moins deux heures, hors déplacement vers le monastère.
  • On peut déjeuner dans un beau cadre avec des plats traditionnels russes, juste en face de l’entrée principale du monastère et de l’autre côté de la route dans le restaurant Russkiy dvorik (Русский дворик). Une suggestion de dessert: les varenniki aux cerises !